Traces du café Philo de novembre 2012
Quelle actualité pour le « libre arbitre » ?
La séance commença, de fait, avec le « ce soir, j’ai pu venir, j’étais libre » (Jacqueline)
Il y eut ensuite un bref rappel des pistes lancées dans l’écrit préalable de Pierre. Ca partait de la liberté « politique » comme quête et conquête jamais achevée, de l’institutionnalisation des libertés « civiles » « publiques » et la garantie de leur exercice par l’État démocratique y compris s’agissant de la libre expression contre le pouvoir d’État. Dans cette tradition, les définitions publiques, comme celle de la Déclaration (DDHC) de 1789, « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », visent les rapports humains dans la cité ; elles ne nous renseignent en rien sur la question de savoir ce qu’est la « liberté individuelle ».
Les philosophes, eux, en explorent les formes depuis toujours ou, si l’on en croit H.Arendt[1], surtout depuis la fin de l’antiquité et l’introduction du christianisme (Augustin etc …).
Le « libre arbitre » , le « libre examen » ou la « libre détermination » du sujet individuel sont enserrés dans un certain nombre de conditions de possibilités – ou impossibilités - explorées sous les concepts d’entendement, de raison, de volonté et « d’autonomie de la volonté », de faculté de juger. Où l’on voit que les registres de l’être (être libre) et de l’agir (agir en liberté), pour distincts qu’ils soient, sont corrélés.
Et donc, en disant : « Il, elle, a son libre arbitre » : qu’est ce qui nous fait paraitre autrui « libre » aujourd’hui ? Quelles analyses de liberté ou non de nos existences faisons nous, qu’éprouvons nous surtout qui corrobore les thèses philosophiques en présence : celle du désir (de rage ?) inné de la liberté (« état d’une chose existant par la seule nécessité de sa nature ou déterminée par soi seule à agir » Spinoza, Ethique 1677) ou, au contraire de la domination par les lois de la nécessité ou encore « de la servitude volontaire » (La Boétie).
Les propos préliminaires de Fabienne engagent des discussions sur plusieurs plans.
· Le libre arbitre en butte aux dogmes religieux dans lesquels le petit d’homme est élevé. Les règles du bien et du mal y sont dictées, « ma liberté c’est de m’agenouiller ou non » (Bertrand).
· Avoir du recul par rapport à soi même, Aller jusqu’à penser contre son milieu apparait souvent dans la littérature comme le fait de tempéraments forts.
· Mais comment tout un chacun peut il prendre du recul, et d’ailleurs aussi comment conduire l’enfant à mûrir son propre libre-arbitre dont l’autonomie est une facette.
· Le processus de la psychanalyse est évoqué comme permettant à l’être (le sujet) de se libérer de lui-même, d’une certaine façon car il serait utopique penser pouvoir se passer de l’inconscient (Danièle).
· L’aphorisme de Nietzsche (emprunté en fait à Pindare) est rappelé : « Deviens ce que tu es c'est-à-dire ce que tu n’es pas encore »
· Mais l’aveuglement (négation du lire arbitre) est le plus souvent collectif (cf film évoqué La vague). Discussions autour du courage, de la conviction personnelle [et la part de volonté qu’elle contient] et de la notion de résistance, quelque peu captive de l’évènement historique (la Résistance avec un grand R) et cependant praticable dans les actes les plus quotidiens.
· Mais ces désirs d’affranchissement et d’accès à la libre opinion sont ils vécus par chacun ?. N’y a-t-il pas une force tout autant conservatrice qui conduit à ne « pas vouloir tout chambouler » (Marie Jo) ou…à laisser agir les autres. Là on évoque « Discours de la Servitude volontaire » de La Boétie[2]
· Comment se bloque la tyrannie ? Bertand : 1/ par la raison, 2/par la vérité et sa force intrinsèque. La raison ne peut jamais être déconnectée du réel, soit les choses telles qu’elles sont et non telles que nous nous complaisons de les savoir. Entre la liberté (capacité à agir mais dans un certain cadre contraint) et « l’arbitre » (capacité à apprécier, à juger), le « libre-arbitre » est relativement piégé. Peut on en sortir et penser effectivement autrement que dans le dialogue et la controverse tels que nous y invite l’attitude philosophique ?
On aura peu évoqué lors de cette soirée l’apport du savoir scientifique et de ses acquis contemporains quant aux causalités externes de nos comportements, pensées, goûts ou même sentiments. Et si le « déterminisme » se dégage toujours de ce savoir, quel impact sur notre (illusion de) liberté et (illusion de) volonté ? Voilà de quoi alimenter d’autres séances puisque, après tout, les savoirs scientifiques, sans limites a priori (voir le développement de la grille de lecture biologique ces dernières décennies) n’échappent pas à la critique (au sens non moral du terme) et à l’éthique.
Terminons par une citation de Nelson Mandela évoqué par Irène :
« Je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu'un d'autre de sa liberté.
L'opprimé et l'oppresseur sont tous deux dépossédés de leur humanité. » (Un long chemin vers la liberté 1996)
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1/ Rectificatif : j’ai attribué le tableau « La liberté guidant nos pas » au peintre David alors qu’il est de Delacroix. Ce n’était pas une volonté de ma part de liberté à l’égard de la vérité mais bien une méprise !
2/ Petite intrigue langagière : quelle différence faire entre freedom et liberty ? j’apprends sur le web que : 1/ le premier (free) est d’origine germanique, le second (liberty) d’origine latine. Utile aux millions de propriétaires d’une petite boite free ! 2/ Liberty est-il plus politique ? Pour d’autres c’est le contraire. Bien sûr les pères de la Constitution US ont proclamé :
“We hold these truths to be self-evident: That all men are created equal; that they are endowed by their creator with certain unalienable Rights; that among these are Life, Liberty, and the pursuit of Happiness”.
Mais l’incertitude semble régner désormais: chez les anglo-saxons il est devenu d’usage, et pas seulement dans le discours politique, d’utiliser une expression redoublée : freedom and liberty. Des anglicistes pour nous en dire davantage ?
3/ Une seule petite promo (à la veille de Noël) pour un tout petit ouvrage, à moins de dix euros mais subtil et documenté : « Pensées sur la Liberté », André Comte Sponville, Librairie Vuibert. C’est dans une série « petits carnets de philosophie ». Le principe en est : petit texte de Comte Sponville pour problématiser le sujet , puis nombreuses citations de philosophes.
[1] Qu’est ce que la liberté, essai des années 50-60 édité dans « La crise de la culture »
[2] « Discours de la Servitude volontaire ou le Contr’un. » La Boétie 1549 . 82 pages, téléchargeable gratuitement sur le site université québecoise : http://classiques.uqac.ca/classiques/la_boetie_etienne_de/discours_de_la_servitude/discours_servitude_volontaire.pdf
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