Trace du café philo du 22 mars 2018
Rédigée par Geneviève BONNET
DÉPENDANCES ET DÉSIRS D'INDÉPENDANCE
De qui, de quoi pouvons-nous être dépendants ? Dans quelles circonstances éprouve-t-on ce sentiment ? Les dépendances sont-elles subies ou choisies ?
- Nous éprouvons le sentiment pénible d'être dépendants, lié à notre impuissance, dans la
maladie, face à l'obligation de suivre un traitement médical lourd, contraignant, dont dépend notre guérison voire notre vie.
- Nous sommes parfois témoins d'états de dépendances chez les enfants, les adolescents « addicts » aux écrans, aux ondes, au point de perdre les repères relationnels avec le monde réel, de porter atteinte à certains de leurs sens.
- Nous sommes conscients que les addictions liées à la prise de drogues, aux jeux de hasard etc. ... peuvent avoir de graves conséquences sur la vie de ceux qui en usent. Sortir de ces
dépendances permet de retrouver une forme de liberté !
Par quels moyens sortir de la dépendance ? La coercition ? La prohibition ? La volonté ? Avec l'aide des autres ?
L'expérience a montré que des interdictions trop nombreuses incitent les gens à se reporter sur d'autres interdits, à contourner les règles. La solution ne semble donc pas être la
prohibition mais une mise en place de « réduction de risques », « d'accompagnement du risque » (exemple : distribution de seringues pour éviter leur réutilisation) ; de se donner les moyens de montrer aux jeunes qu'il existe d'autres plaisirs, des jeux d'extérieur autres que les jeux vidéo ; de témoigner en milieu scolaire de ses victoires sur une addiction.
Cela nécessite de l'imagination et des efforts !
La dépendance dans les rapports humains.
Le nourrisson est dépendant de ses parents et parcourt un chemin qui lui permet de gagner peu à peu son indépendance.
Lorsque cette évolution ne se fait pas « normalement », il peut demeurer une très grande
dépendance affective entre un parent et son enfant parvenu à l'âge adulte. Cette situation nous interpelle car nous pensons connaître la juste limite entre dépendance et normalité de l'amour filial. En fait, notre réaction ne nous apprend-elle pas surtout à découvrir l'échelle de normalité que nous nous sommes fixée nous-mêmes et dont nous nous servons pour juger de la situation ?
Nous avons écouté – en toussotant un peu ! - la chanson d'Edith PIAF « Mon homme » ….
« Bel » exemple de dépendance affective ? De soumission ? De dépendance choisie, en tous cas verbalisée ! A chacun sa grille d'analyse !
En quoi l'indépendance nous est-elle utile ?
Les philosophes F. Lenoir dans « Le miracle Spinoza » et Matthieu Ricard dans « Trois amis en quête de sagesse » pensent qu'on ne peut être heureux si notre bonheur dépend
uniquement des autres et préconisent de le trouver par nous-mêmes mais sans nous couper des autres, en restant en lien avec nos semblables.
Souveraineté du moi ? Le « moi » n'est pas un État à lui tout seul !!
Peut-on appeler autonomie le point d'équilibre entre dépendance et indépendance ?
On pourrait alors parler « d'interdépendance ».
* La première séquence vidéo proposée par Pierre montre que l'empathie est nécessaire dans tout système d'interdépendance. L'empathie, cette capacité à ressentir et à partager les émotions des autres, nous l'éprouvons spontanément à l'origine de notre vie (expériences
visionnées sur deux jeunes enfants). C'est elle qui va permettre la coopération et
la collaboration indispensables à toute œuvre humaine / La culture et l'éducation permettent à l'adolescent de la développer. Elle devrait rester notre destination à l'âge adulte …
* Dans le second extrait vidéo le philosophe Raphaël Enthoven apporte une
précision terminologique et conceptuelle. Celui-ci oppose l'indépendance (rupture totale avec les autres, « ni Dieu ni maître ») avec l'autonomie (d'après son origine grecque : loi/règle que l'on se donne à soi-même) tout en reconnaissant les lois qui nous sont supérieures et
communes (l’être humain n'est pas une île mais en relation au sein d'une société)
* Un troisième extrait est tiré du film « Amour » avec J. Trintignant et Emmanuelle Riva. Bouleversant ! Poignant! A chacun ses mots.
A chacun d'y découvrir la part de l'amour, de la dépendance, de l'autonomie, avec sa propre grille d'analyse, son empathie et peut-être son vécu. Mais nous n'en dirons
pas plus pour laisser Karine découvrir ce film ...
Le mot de la fin ? Au choix !
Il vaut mieux ne pas se voir dépendant, ne pas avoir conscience de son état, c'est terrible !
Ou
Avancer avec Paul Ricœur [1] et construire son autonomie en relation avec les autres et non dans le fantasme de toute puissance de l'individu isolé et exempt de tout regard et jugement d'autrui. L'autonomie est à considérer non comme ce qui est au départ
(l'expérience première est celle de la vulnérabilité) mais comme processus de libération.
« L'homme capable » (l'être humain) décline au cours de ce processus différentes capacités, pas seulement des potentialités physiques, des « je peux », qui constituent différentes
facettes de son identité. Se reconnaître soi-même d’abord, (je suis untel avec un nom etc.), se découvrir ensuite capable d'agir sur le monde, sur les événements (c'est moi qui l'ai fait), capable ensuite de se raconter, élaborer un récit de vie en reliant des événements c’est à dire donner un sens à sa vie même s'il y a des aléas et incertitudes. Ricœur rajoute enfin « l'imputabilité », se reconnaître ainsi à l'origine des actes, des propos tenus et
d'en assumer la responsabilité.
[1] Paul Ricœur 1913-2005, important philosophe français, auteur de nombreux ouvrages dont « Soi-même comme un autre » 1990