Trace Café Philo mai 2014 :
DU RIRE, DE LA RIGOLADE…. CES BAGATELLES DONT IL FAUT S’OCCUPER SERIEUSEMENT
« Vous ne m’avez pas crue, vous m’aurez cuite » Jeanne d’Arc ...
Quelqu’un - un inconnu, un(e) ami(e)…vous-même peut –être ? -qui heurte une porte vitrée qu’il n’avait pas vue…ou qui glisse dans la neige les quatre fers en l’air ! Avouez que vous avez ri (y compris de vous-même donc) d’autant plus franchement qu’il n’y a pas de mal (le rire est parfois plus gêné quand des crottes de chien ou des bouses de vache sont en jeu et encore !). Les burlesques, parfois sans un mot, parfois avec le plus extrême des sérieux (Buster Keaton) parfois avec un excès de mimiques, avec un corps (yeux, membres) toujours agité, voire exprimant la crainte ou l’incertitude (De Funès) ont poussé cela au maximum. La place du corps dans le rire et le faire-rire (Devos lui-même ne se résume pas un comique de mots, il jouait de tout son corps, d toute sa corpulence).
Comment on s’est bidonné avec des amies (les filles ont reconnu ce penchant fort) ; comment on n’a pu s’empêcher de pouffer de rire – à cause d’un détail- dans des circonstances pourtant dramatiques, des obsèques par exemple (comme Daniel Auteil et Daroussin parait-il dans Dialogue avec mon jardinier).
Ce fut une soirée café philo réellement gaie.
Après le rire retentissant d’Henri Salvador plusieurs d’entre nous racontèrent ces mésaventures désopilantes (patatras en milieu des Galeries Lafayettes), vidéo-gags avant la lettre. 0u aussi ces fous-rires de transgression. Autant le personnage qui tourne tout à la plaisanterie est lassant –son écran de fumée est en fait défensif- autant ceux qui ont de l’humour sont unanimement appréciés, de surcroit s’ils sont pince sans rire !
Le rire comme art du décalage, de l’inattendu par tous les procédés possibles de déplacement, substitution, inventions de situations improbables etc …
Drame du dictateur : incapable de rire (Chaplin nous le montre magistralement ce dictateur imbu de sa personne, délirant et enfantin ; sa parodie d’Hitler non seulement fut opportune mais elle montre à quel point ce genre appartient autant à l’analyse critique argumentée qu’au comique par ses procédés). Régime de dictature : non seulement un système incapable d’humour mais qui juge l’humour dangereux.
Beaucoup de discussion autour du rôle du « bouffon » : non pas celui qu’on qualifie comme tel car il fait rire ou prête à moquerie malgré lui. Mais celui qui joue ce rôle social, soit dans l’histoire –fou du roi payé distraire mais aussi se moquer de son maître toujours plus ou moins à la limite de déplaire- ou humoriste contemporain en régime de liberté, non payé par le pouvoir politique lui-même mais par le marché… Ce dernier jouerait un rôle analogue, celui de chicaner le détenteur du pouvoir (lui rappeler quoi ? sa finitude ?).
Plus globalement on évoqua la notion d’équilibrage du rire vis-à-vis des dominants. Rire, sarcasme et moquerie témoigneraient aussi d’une spontanéité guerrière en vue de rétablir de l’égalité et de faire tomber du piédestal ceux qui s’y croient rivés.
Le féminisme, entre autre contre-pouvoirs, a utilisé le rire. Et –même si elles n’en sont pas forcément les représentantes (leur thématiques ne sont pas cantonnées à tourner les mâles en dérision), les femmes humoristes qui arrivent en tête des préférences des français (Anne Roumannof dans le sondage Sofres 2010) en témoignent.
Un débat non tranché entre nous (ex aequo à l’issue du débat) : le sentiment dominant de morosité ou de déclin dans la société française a-t-il éclipsé la pratique du rire et de la rigolade ou au contraire suscité son développement ?
Difficile à mesurer : pas de rigolomètre , pas d’obligation de déclaration préalable de rire qui permettrait un recensement exhaustif ! Le poisson d’avril serait-il en train de crever la bouche ouverte ?
Au moins faut- il distinguer le rire dans des sphères privées (familiales, amicales, camaraderies), dans les espaces publics (les collégiens au sortir de l’école rigolent-ils moins ?) et dans l’offre de spectacle ; cette dernière semble, elle, avoir considérablement crûe (phénomène des humoristes, leur écoles de rire, les festivals type MDR).
Cette offre de spectacle est certes soutenue par le marché (télévisuel notamment) qui y trouve son intérêt dans la lutte des taux d’audience mais bien souvent aussi par les pouvoirs publics, centraux ou locaux. Si ces pouvoirs publics locaux facilitent la comédie sous tous ses genres –carnavals de rue ou comédie sur les planches par le théâtre ou la programmation de shows- en en parsemant leurs programmes culturels (ou, pour certaines municipalités, de loisirs ) n’est- ce pas aussi par souci de divertissement ?
Jean Edmond nous lut un texte de sa composition pour la soirée rire « Histoire de têtes ». On le trouve là : http://philosopher.sur.les.rivages.palavasiens.over-blog.com/histoires-de-tetes-un-essai-de-jean-emond-dewigne.html
La soirée se termina joyeusement avec la célèbre phrase de Rabelais « car rire est le propre de l’homme). On trouve d’ailleurs la citation entière et plein d’autres idées rediscutées ce 22 mai dans la piste : est- elle toujours disponible sur le blog ?
Pierre M 27/5/14
Petit complément audio pour ceux qui veulent poursuivre.
On a croisé la question du rire à travers les âges mais on ne l’a pas abordé systématiquement. Le moyen-âge, par exemple, connut, on le sait un foisonnement de farces, sotties et autres scènes de théâtre souvent satiriques. Se moquer des pouvoirs ou des riches ou des nobles y était familier et la seule limite semblait être le crime de « lèse- majesté » qui pouvait provoquer à l’auteur le désagrément de se retrouver au cachot ou jeté au fleuve ! Encore fallait-il que le succès de sa satire le fasse remarquer, car dans une production essentiellement orale (ou, lorsqu’elle est écrite, elle l’est sous forme d’allusions indirectes) c’est surtout l’adhésion du public (à la foire, sur la place du marché) qui est décisive : autrement dit, dans la comédie, comme dans l’humour contemporain (ce sera vrai aussi du phénomène Coluche) il n’y pas de comique sans réception, pas de rire (comme genre) sans gens qui rient vraiment. L’église elle-même, pouvoir séculier, ne parvint pas toujours à endiguer la contestation satirique de son autorité…il y eut des querelles (Jésus a-t-il ri ? sinon le rire est condamnable, épisode relaté par Umberto Eco dans Le Nom de la Rose)
Les siècles suivants virent se décliner d’autres problématiques du rire sans que celui-ci ne disparaisse jamais de l’espace public aussi bien que des salons et même sous les périodes de terreur.
Un forum de France Culture a porté sur ce thème du rire à travers les âges . Sous le titre «de Rabelais à Dieudonné, peut-on faire une histoire du rire ? », on peut encore écouter en ligne 50 minutes d’interventions de spécialistes, tous très intéressants. C’est ici : http://www.franceculture.fr/emission-la-fabrique-de-l-histoire-forum-france-culture-l-annee-vue-par-l%E2%80%99histoire-35-de-rabelais-a-