Traces Café philo 24 septembre 2015
Quand vient la fin de l’été….Philosopher sur les saisons
1/ Partage sur les lectures de l’été
Nous avons lu … et nous recommandons (résumés visibles sur http://www.babelio.com)
- La couleur des sentiments de Kathryn Stockett
- La tempête de Juan Manuel de Prada
- Un pas dans les nuages Catherine Veil (les Cévennes !)
- Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud (Un homme se disant frère de l’Arabe tué par Meursault dans L’Étranger, le roman d’Albert Camus, entend relater sa propre version des faits….)
- Accouplement de Norman Rusch
- Le serment des justes Jean Luc Fabre
- Pas pleurer Lydie Salvaire
- Vivre de lumière de Jasmuheen (5 ans sans nourriture matérielle)
- Lointain souvenir de la peau Russel Banks
2/ Sur le thème des saisons et de leur alternance,
Les échanges ont été nombreux : plutôt que l’idée de perte et de deuil provisoire (fin de l’été) ou « d’endormissement » (automne, hiver) ce sont plutôt les thématiques du renouveau, du renouvellement, voire du re-départ qui ont mobilisé la conversation : des phénomènes climatiques, botaniques etc… ? Certes, mais y sont associés des états mentaux et corporels individuels (réalité magnifiée jadis dans le Regain de Giono) ainsi que des rites collectifs (récoltes, fêtes) ,et des organisations économiques pour faire face et/ou exploiter ce qu’apportent les saisons selon les territoires (moins de chasse-neiges en Languedoc que dans les Alpes).
L’idée de remise des comptes à zéro peut imprégner certains de ces rituels : en Perse (Iran), le début de l’année au 21 mars est l’occasion d’un grand pardon.
La thématique du temps –au Temps d’une pause, le café Philo y revient souvent !- nous a à nouveau beaucoup occupés. Le retour des saisons (et, en plus, chez nous elles sont au nombre de quatre !) peut paraitre logiquement contraire à l’idée de temps qui passe (à sens unique, la flèche du temps) mais, en fait, elles s’y intègrent : ainsi les saisons d’antan que l’on peut comparer à celle d’aujourd’hui… pratiques diverses, y compris vêtures, occupation de la journée, le tout pouvant s’appuyer aussi sur une histoire du climat (du temps au sens météorologiques) puisqu’elle existe désormais !
Et puis : comment notre rapport à la « Nature », objet de pensée incontournable pour les philosophes pendant tant de siècles, s’est transformé ? Le partage de nos observations sur notre rapport aux saisons depuis que la vie s’est largement urbanisé contribue à ce sujet sur la philosophie de la Nature (une Nature unique et avec un grand N ? le débat commence ici).
D’ailleurs, la poésie des saisons n’était-elle pas exclusivement rurale ?
Nous avons écouté quelques poèmes au cours de cette soirée.
Nous choisissons d’en donner ici un certain nombre parmi des poètes du XIX° et du XX°. Celui de notre amie Jackie Rué (pète du XXI°), intitulé « Encore ? » se trouve en fin de série.
PM 07/10/2015
PS, en octobre : Energie
Rainer Maria RILKE (1875-1926)
Chemins qui ne mènent nulle part
Chemins qui ne mènent nulle part
entre deux prés,
que l'on dirait avec art
de leur but détournés,
chemins qui souvent n'ont
devant eux rien d'autre en face
que le pur espace
et la saison.
_________________
Rainer Maria RILKE (1875-1926) in Poésies Françaises
Il suffit que, sur un balcon
Il suffit que, sur un balcon
ou dans l'encadrement d'une fenêtre,
une femme hésite ..., pour être
celle que nous perdons
en l'ayant vue apparaître.
Et si elle lève les bras
pour nouer ses cheveux, tendre vase :
combien notre perte par là
gagne soudain d'emphase
et notre malheur d'éclat !
-----------------
François Coppée, 1842/1908
in Les mois
Lorsqu’un homme n’a pas d’amour,
Rien du printemps ne l’intéresse ;
Il voit même sans allégresse,
Hirondelles, votre retour ;
Et, devant vos troupes légères
Qui traversent le ciel du soir,
Il songe que d’aucun espoir
Vous n’êtes pour lui messagères.
Chez moi ce spleen a trop duré,
Et quand je voyais dans les nues
Les hirondelles revenues,
Chaque printemps, j’ai bien pleuré.
Mais depuis que toute ma vie
A subi ton charme subtil,
Mignonne, aux promesses d’Avril
Je m’abandonne et me confie.
Depuis qu’un regard bien-aimé
A fait refleurir tout mon être,
Je vous attends à ma fenêtre,
Chères voyageuses de Mai.
Venez, venez vite, hirondelles,
Repeupler l’azur calme et doux,
Car mon désir qui va vers vous
S’accuse de n’avoir pas d’ailes.
----------
Guillaume Apollinaire,
in Alcools, 1913
Dans le brouillard s’en vont un paysan cagneux
Et son boeuf lentement dans le brouillard d’automne
Qui cache les hameaux pauvres et vergogneux
Et s’en allant là-bas le paysan chantonne
Une chanson d’amour et d’infidélité
Qui parle d’une bague et d’un coeur que l’on brise
Oh! l’automne, l’automne a fait mourir l’été
Dans le brouillard s’en vont deux silhouettes grises
Paul Verlaine, 1844/1896
in Poèmes saturniens
Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon coeur
D’une langueur
Monotone.
Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure
Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.
Paul Verlaine, in Poèmes divers
Parmi la chaleur accablante
Dont nous torréfia l’été,
Voici se glisser, encor lente
Et timide, à la vérité,
Sur les eaux et parmi les feuilles,
Jusque dans ta rue, ô Paris,
La rue aride où tu t’endeuilles
De tels parfums jamais taris,
Pantin, Aubervilliers, prodige
De la Chimie et de ses jeux,
Voici venir la brise, dis-je,
La brise aux sursauts courageux…
La brise purificatrice
Des langueurs morbides d’antan,
La brise revendicatrice
Qui dit à la peste : va-t’en !
Et qui gourmande la paresse
Du poète et de l’ouvrier,
Qui les encourage et les presse…
” Vive la brise ! ” il faut crier :
” Vive la brise, enfin, d’automne
Après tous ces simouns d’enfer,
La bonne brise qui nous donne
Ce sain premier frisson d’hiver ! “
Anna de Noailles, 1876 1933
in Le coeur innombrable
Voici venu le froid radieux de septembre :
Le vent voudrait entrer et jouer dans les chambres ;
Mais la maison a l’air sévère, ce matin,
Et le laisse dehors qui sanglote au jardin.
Comme toutes les voix de l’été se sont tues !
Pourquoi ne met-on pas de mantes aux statues ?
Tout est transi, tout tremble et tout a peur ; je crois
Que la bise grelotte et que l’eau même a froid.
Les feuilles dans le vent courent comme des folles ;
Elles voudraient aller où les oiseaux s’envolent,
Mais le vent les reprend et barre leur chemin
Elles iront mourir sur les étangs demain.
Le silence est léger et calme ; par minute
Le vent passe au travers comme un joueur de flûte,
Et puis tout redevient encor silencieux,
Et l’Amour qui jouait sous la bonté des cieux
S’en revient pour chauffer devant le feu qui flambe
Ses mains pleines de froid et ses frileuses jambes,
Et la vieille maison qu’il va transfigurer
Tressaille et s’attendrit de le sentir entrer.
Jacques Prévert ("Paroles") –
L'AUTOMNE
À l'enterrement d'une feuille morte
Deux escargots s'en vont
Ils ont la coquille noire
Du crêpe autour des cornes
Ils s'en vont dans le soir
Un très beau soir d'automne
Hélas quand ils arrivent
C'est déjà le printemps
Les feuilles qui étaient mortes
Sont toutes ressuscitées
Et les deux escargots
Sont très désappointés
Mais voilà le soleil
Le soleil qui leur dit
Prenez prenez la peine
La peine de vous asseoir
Prenez un verre de bière
Si le coeur vous en dit
Prenez si ça vous plaît
L'autocar pour Paris
Il partira ce soir
Vous verrez du pays
Mais ne prenez pas le deuil
C'est moi qui vous le dit
Ça noircit le blanc de l'oeil
Et puis ça enlaidit
Les histoires de cercueils
C'est triste et pas joli
Reprenez vos couleurs
Les couleurs de la vie
Alors toutes les bêtes
Les arbres et les plantes
Se mettent à chanter
À chanter à tue-tête
La vraie chanson vivante
La chanson de l'été
Et tout le monde de boire
Tout le monde de trinquer
C'est un très joli soir
Un joli soir d'été
Et les deux escargots
S'en retournent chez eux
Ils s'en vont très émus
Ils s'en vont très heureux
Comme ils ont beaucoup bu
Ils titubent un petit peu
Mais là-haut dans le ciel
La Lune veille sur eux.
Jacques Prévert 1946
LES FEUILLES MORTES
musique: Joseph Kosma
Interprète Yves Montand 1950
Oh! je voudrais tant que tu te souviennes
Des jours heureux où nous étions amis
En ce temps-là la vie était plus belle,
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle
Tu vois, je n'ai pas oublié...
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Les souvenirs et les regrets aussi
Et le vent du nord les emporte
Dans la nuit froide de l'oubli.
Tu vois, je n'ai pas oublié
La chanson que tu me chantais.
C'est une chanson qui nous ressemble
Toi, tu m'aimais et je t'aimais
Et nous vivions tous deux ensemble
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais
Mais la vie sépare ceux qui s'aiment
Tout doucement, sans faire de bruit
Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis.
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Les souvenirs et les regrets aussi
Mais mon amour silencieux et fidèle
Sourit toujours et remercie la vie
Je t'aimais tant, tu étais si jolie,
Comment veux-tu que je t'oublie?
En ce temps-là, la vie était plus belle
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui
Tu étais ma plus douce amie
Mais je n'ai que faire des regrets
Et la chanson que tu chantais
Toujours, toujours je l'entendrai!
Théophile GAUTIER (1811-1872)
Premier sourire du printemps
Tandis qu'à leurs oeuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgré les averses,
Prépare en secret le printemps.
Pour les petites pâquerettes,
Sournoisement lorsque tout dort,
Il repasse des collerettes
Et cisèle des boutons d'or.
Dans le verger et dans la vigne,
Il s'en va, furtif perruquier,
Avec une houppe de cygne,
Poudrer à frimas l'amandier.
La nature au lit se repose ;
Lui descend au jardin désert,
Et lace les boutons de rose
Dans leur corset de velours vert.
Tout en composant des solfèges,
Qu'aux merles il siffle à mi-voix,
Il sème aux prés les perce-neiges
Et les violettes aux bois.
Sur le cresson de la fontaine
Où le cerf boit, l'oreille au guet,
De sa main cachée il égrène
Les grelots d'argent du muguet.
Sous l'herbe, pour que tu la cueilles,
Il met la fraise au teint vermeil,
Et te tresse un chapeau de feuilles
Pour te garantir du soleil.
Puis, lorsque sa besogne est faite,
Et que son règne va finir,
Au seuil d'avril tournant la tête,
Il dit : " Printemps, tu peux venir ! "
-------------------------------
Alphonse de LAMARTINE (1790-1869)
L'automne
Salut ! bois couronnés d'un reste de verdure !
Feuillages jaunissants sur les gazons épars !
Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la nature
Convient à la douleur et plaît à mes regards!
Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire,
J'aime à revoir encor, pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois !
Oui, dans ces jours d'automne où la nature expire,
A ses regards voilés, je trouve plus d'attraits,
C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire
Des lèvres que la mort va fermer pour jamais!
Ainsi, prêt à quitter l'horizon de la vie,
Pleurant de mes longs jours l'espoir évanoui,
Je me retourne encore, et d'un regard d'envie
Je contemple ses biens dont je n'ai pas joui !
Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,
Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau ;
L'air est si parfumé ! la lumière est si pure !
Aux regards d'un mourant le soleil est si beau !
Je voudrais maintenant vider jusqu'à la lie
Ce calice mêlé de nectar et de fiel !
Au fond de cette coupe où je buvais la vie,
Peut-être restait-il une goutte de miel ?
Peut-être l'avenir me gardait-il encore
Un retour de bonheur dont l'espoir est perdu ?
Peut-être dans la foule, une âme que j'ignore
Aurait compris mon âme, et m'aurait répondu ?
La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire ;
A la vie, au soleil, ce sont là ses adieux ;
Moi, je meurs; et mon âme, au moment qu'elle expire,
S'exhale comme un son triste et mélodieux.
__________________
Jacques Prévert
La nouvelle saison
Une terre fertile
Une lune bonne enfant
Une mer hospitalière
Un soleil souriant
Au fil de l'eau
Les filles de l'air du temps
Et tous les garçons de la terre
Nagent dans le plus profond ravissement
Jamais d'été jamais d'hiver
Jamais d'automne ni de printemps
Simplement le beau temps tout le temps
Et Dieu chassé du paradis terrestre
Par ces adorables enfants
Qui ne le reconnaissent ni d'Eve ni d'Adam
Dieu s'en va chercher du travail en usine
Du travail pour lui et pour son serpent
Mais il n'y a plus d'usine
Il y a seulement
Une terre fertile
Une lune bonne enfant
Une mer hospitalière
Un soleil souriant
Et Dieu avec son reptile
Reste là
Gros Saint Jean comme devant
Dépassé par les événements.
-------------------
J. Rué, Palavas
Encore ?
Après avoir neigé, il neige encore.
Le ciel a pris la couleur de la terre.
Les yeux sont éblouis par toutes ces lumières
Qui scintillent partout, et tout autour de nous.
On s’enlise comme dans une lise.
Un voile bleuté enveloppe les cimes.
Les sapins ne sont plus que des spectres,
Des fantômes qui hantent nos forêts.
Ils rêvent en silence des douceurs de l’été,
De la brise légère le matin au lever
D’un soleil salutaire ;
Que ce monde est glacé !
Quand viendras-tu printemps,
Ranimer tous ces arbres,
Redonner vie à tous ces paysages,
Repeindre en couleur
Toutes ces vastes landes,
Quand donc seras-tu là
Pour nous émerveiller ?