TRACE : LE BEAU |
D’abord il s’agirait de définir ce qu’on entend par le beau !
Il semble que ce soit d’abord une appréciation, un jugement de valeur, voire simplement une exclamation individuelle, un cri du cœur ! Si on en restait là, le concept serait assez limité à un ressenti d’apparences sujettes à caution. Mais lorsqu’on fait individuellement cette appréciation, on peut parfois entendre dire « moi aussi je trouve ça beau ».
Cela renforce l’opinion du « premier découvreur de beauté », mais surtout cela donne de la notoriété à cette assertion !
Il est donc intéressant de savoir pourquoi certaines choses sont reconnues par le plus grand nombre comme belles. On peut très bien imaginer que cette appréciation collective découle de la reconnaissance inconsciente de se sentir en phase avec l’objet, l’être, le geste, l’acte apprécié. Comme si une harmonie se dégageait de l’objet de l’appréciation. Ainsi dans la galerie des glaces à Versailles on n’est pas écrasé par l’immensité de la pièce, on s’y sent bien ! En fait il s'agit d'un certain équilibre des proportions. Dans une œuvre picturale cela peut se rapporter à la correspondance des couleurs complémentaires … Finalement cela revient à définir les appréciations de beauté en correspondance de certaines réalités physiques et surtout mathématiques. L’objet du jugement devient, dans cette conception du beau, la représentation concrète d’un concept d’une certaine réalité cachée. A l’inverse on peut ressentir comme beau, l’anormal, l’original, le « décalé », ce qui choque et surprend sans prétention d’universalité. Il s’agit peut-être d’expression de souffrances, d’exhibitions salvatrices, de reconquêtes de soi … Mais souvent il s’agit d’expériences personnelles dont la communicabilité se limite à un cercle restreint d’adeptes intellectuels d'une nouvelle « école » ou parfois à des ignorants fortunés ... « à la mode ».
Et à quoi sert le beau ?
A rien pourrait-on répondre, c’est ce qui fait son charme ! Et pourtant ; dans une université états-unienne on fit l’expérience de fabriquer par ordinateur une photo représentant la moyenne des caractéristiques physiques des visages des garçons. La photo fut mélangée avec celle de tous les garçons et on proposa aux filles de choisir le plus beau … et l’on fit de même une photo « moyenne » des filles pour la proposer aux garçons. Dans l’un et l’autre cas ce fut le visage fabriqué qui remporta le concours de beauté ! Ceci ne signifie pas seulement que la beauté n’est qu’une moyenne mais surtout que la beauté doit nous ressembler ou que nous devons pouvoir nous y mirer. Si à l’inverse d’une majorité, la « vénus de Milo » ou la « Joconde » ou « David » ne met plait pas, c’est que ces œuvres agacent par leur régularité qui rejette le singulier dans l’anormal. Et ce faisant on clame son propre rejet d’un canon d'une certaine beauté. Baudelaire parle du « bizarre ». On peut aussi évoquer la beauté diabolique, celle qui pousse au crime !
On ne saurait éviter de parler de la mode comme poncif créateur d’envies et de beauté. Il y a d’abord « l’envie de plaire » comme l’écrit Comte Sponville. Mais surtout la mode consiste à vendre un produit sous prétexte qu’il serait beau. Or qui oserait aujourd’hui trouver beaux par exemple, les pantalons en patte d’éléphants ? La mode est aussi le produit de la nécessité économique : Après la 2°Guerre Mondiale on fait des imperméables « du plus grand chic » avec de la toile d’avion au rebus, c’est la fortune de Boussac. Avec la mode on assiste à un certain conformisme, on obéit aux « canons » de la beauté. En fait il s’agit de manipuler notre orgueil, en suggérant que le simple achat distingue d’emblée les gens « dans le coup » seuls adeptes du « vrai beau » … celui qui sert à faire des sous ! Il est vrai que ce beau-là peut avoir aujourd’hui un coût, celui de l’anorexie des jeunes femmes, traitées comme des portemanteaux, notamment dans la mode !
Le beau est-il à classer parmi les valeurs ?
Les Grecs assimilaient le beau et le bon. Platon parle de « l’agatos », formule qui lui permet d’expliquer longuement que le beau ne peut avoir qu’une finalité : le vrai et le bon. Cela est difficile à comprendre aujourd’hui sinon par le biais de l’hypothèse que ce qui est reconnu par le plus grand nombre pour « beau » ne peut être qu’un bienfait pour l’humanité.
Durkheim semble abonder aussi dans ce sens lorsqu’il interprète le « beau » comme « une partie des jugements réfléchissants qui concernent la finalité en général ». Plus qu’un acte désintéressé la reconnaissance du beau revient à opposer les jugements de fait et ceux de réalité.
C’est pourquoi on a tendance à se démarquer de Boileau qui affirmait « Rien n’est beau que le vrai ». En effet le vrai n’est devenu aujourd’hui que le résultat d’une démonstration scientifique. Celle-ci s’inscrit dans une réalité plus large dont on ne possède pas forcément encore toutes les clés. Le vrai n’appartient qu’à la science. Celle-ci prouve la réalité des choses en rejetant pour subjectif les simples ressentis du vrai … C’est pourquoi aujourd’hui le ressenti de beauté étant envisagé comme l’interprétation subjective de réalités harmoniques, genre « nombre d’or » découle plus d’une technique que d’un théorème. Il convient d’admettre que le beau pouvait s’interpréter au 17ème siècle comme la représentation du vrai, mais on a largement dépassé ce stade, car on admet que le beau s’attache à une culture, à une histoire dont la prétention universaliste se heurte au scepticisme du reste du monde.
Comme le beau ne saurait être une démonstration mais seulement une appréciation, on peut le classer dans les valeurs notamment comme participant à l’esthétique. Nietzsche parle « d’actions actives » Mais est-ce suffisant ? A l'inverse la nature aussi nous offre des paysages comme sources d’exaltation.
De l’esthétique à l’éthique
Le « beau en soi » admis comme valeur n’est pas sans conséquence. Comme toute sensibilité celle du beau mérite un apprentissage. Il y a des écoles de Beaux-Arts où on apprend les normes à considérer. Ces études ne prétendent pas à l’universel car elles s’insèrent dans une culture. Ainsi l’éducation nécessaire à la beauté, aux arts en général, à partir d’une culture propre conduit à une réflexion personnelle dans laquelle d’autres peuvent se reconnaître. Ainsi untel sera ému par « l’Annonciation » de Fra Béato Angelico, tel autre en réaction aux œuvres pies le sera à propos de la naissance de Vénus. Une anonyme dans la presse « Ce tableau de Botticelli est une merveille de beauté. Je peux rester des heures à le contempler. Fascinée. Je m’imprègne de sa grâce. Sa vision me purifie. Je quitte le musée dans un état d’apesanteur. Comblée. Rassurée sur le genre humain ». … Ne dit-on pas que la musique adoucit les mœurs ? C’est un peu comme si le « beau » nous amenait à un bienfait estimable … un plaisir désintéressé. Une sorte d’accomplissement de l’humanité grâce aux arts.
Mais ceux-ci se limitent à la représentation des choses. Il y a aussi « de belles pensées » de « beaux gestes » qui ne conduisent pas seulement à l’admiration mais aussi à l’envie ... d'en faire autant ... au fond d’être à la hauteur d’une certaine humanité.
On peut même classer dans cette perspective la naissance de l’enfant comme un bel acte par excellence. Indépendante de l’art mais image de tous ses ancêtres, la naissance de l'enfant provoque l’immense émotion et la satisfaction légitime de sa propre capacité à la procréation. On est là dans le profond de l’existence même, celle qui confine à l’essence de l'être. Ce « bel » évènement qui démontre la continuation d’un autre soi tout en y associant un conjoint si proche et aussi différent, fait partie du summum de la beauté et convie à l'éthique de l'espèce.
Pourtant, à l’inverse du beau, les politiques ont espéré « récupérer » l’art pour lui donner un sens moral, voire une prétention éthique ; dans le sens où nous définissions ces termes dans la trace « morale et éthique. Certains s’y sont essayés et ce fut le désastre des « œuvres de commande » au service d’ambitions idéologiques. La morale publique n’a donc pas de place dans l’art. Par contre, l'éthique s'associe volontiers au beau.
En effet l'art se fourvoie souvent aujourd’hui dans l’expression de concepts personnels ésotériques, comme reflet de souffrances propres à l'auteur et non comme l’ambition d’élever l’esprit de ses congénères au beau : Dali vendait dix francs sa signature. En revanche tout n’est jamais bouclé pour le beau dans la mesure où il arriverait à se détacher de l’art et prétendre à une certaine universalité …. Au total on peut souhaiter que l’esthétique conduise plus à l’éthique ... !
Ce besoin de beau est universel et impérieux, il n'est qu'à observer les longues files devant les musées, comme la volonté de s’éduquer personnellement « au beau ».
On peut aussi essayer de le communiquer autres et ainsi se rendre heureux !
Bertrand LEROLLE