Traces du Café philo du 30 mai 2013 sur
A QUOI TU JOUES ?
(Jeux et enjeux du je : pour soi –Je- autrui et la société)
Séance d’une grande vivacité quoiqu’en « café » plus restreint (12 participants)
Qui n’a connu : « 1-2-3 Soleil », les « osselets », la « cachette », le « saut à la corde », le « jeu du béret », la « marelle » (héritée des arabes ?), les jeux d’alignement avec un stylo sur le papier ou des cailloux sur le sable de la plage (morpion, backgammon)… ? Tous ces jeux ne sont pas confinés à l’enfance : il a été rappelé que c’est le même jeu de « chaises musicales » qui était pratiqué à l’époque de Marie Antoinette et, aujourd’hui, en fin de soirée des fêtes familiales.
On a même fait ce soir la démonstration de comment on joue à « pierre, feuille, ciseau » : exercice pour tous à la prochaine séance ! De ce petit jeu (de mains, pas de vilains) on peut dériver quelques idées explorées :
- ►le jeu fait « lien ». Alors que chez les adultes (les « grands »), certains avouent ne plus vraiment jouer (plus jamais ? plus assez ?) ce genre de petit jeu nous remémore un point important : on peut jouer entre adulte et enfant (adulte, parent, grand parent) et même on peut transmettre une pratique ludique qu’on a soi même reçue on ne sait plus depuis quand, ni d’où, par voie orale en tous cas.[1]
- ►Le jeu n’a pas besoin…du jeu. Disons-le autrement : on peut jouer sans support matériel, sans un objet concret étiqueté « jeu ». Et, le premier, l’enfant nous le montre bien (voir ci-après). Donc : possibilité permanente du jeu « spontané » dès lors que surgit l’envie de jeu, l’esprit de jeu
- ►et, pourtant, même ici sans support (« 1-2-3 Soleil », « pierre, feuille, ciseau »), il y a une règle dont chacun est porteur et gardien. Une discussion eut lieu sur la fonction des règles de jeu : métaphore de la loi qui régit les rapports en société ? En tous cas, on se rapporte à la règle du jeu comme à un tiers « arbitre » en cas de conflit pendant le jeu. Et l’idée de jeux à règles évolutives –tels qu’il en existe désormais- semble ne pas séduire du tout dans notre petit groupe (« je n’aimerais pas qu’on change les règles du scrabble ! »). Allons jusqu’à dire que c’est l’existence de cette règle qui permet le conflit puisqu’elle l’encadre.
De là : petite incursion sur violence et jeu…sujet qu’on fut loin d’épuiser ! Le jeu, la partie de ceci ou cela, ouvre donc un espace d’affrontement réglé. Y sont en acte : le défi, la compétition, l’agressivité même, le challenge vis-à-vis des autres et, au bout du compte, vis-à-vis de soi même : dépasser l’autre, se dépasser. L’enjeu semble être le même pour tous. Et pourtant, les dispositions psychologiques individuelles (le narcissisme notamment) ou les systèmes éducatifs peuvent valoriser l’un ou l’autre aspect.
Soit : gagner, être vainqueur proclamé comme enjeu exclusif.
Soit : se battre bien…autrement dit savoir perdre avec honneur.
Agressivité, donc, mais pas agression. Mettant en scène le combat, des jeux et des sports ont été promus par les sociétés et États pour canaliser la violence. Et pourtant…. ! Mais, pourquoi donc se défoulent-ils en s’affrontant physiquement après le match de foot… ? Pourquoi débordent-ils le cadre du stade ? Pourquoi le « ce n’est qu’un jeu » ne fonctionne pas, alors que c’est un apprentissage fondamental que l’adulte impose à l’enfant ? Large question de la violence dans l’histoire et aujourd’hui. S’y osera-t-on dans un café philo en 2013/ 2014 ?
L’enfant, l’enfance, bien sûr au cœur de ce thème.
►Le constat du « besoin » de jeu de l’enfant dès tout petit est universel et ancien. Ne faut-il pas que l’on « occupe » l’enfant dans son couffin au bord du champ pour qu’il ne dérange pas la mère qui cultive ? Écoutons Aristote : il évoque celui à qui on attribue d’avoir inventé le hochet ,un pythagoricien, scientifique, philosophe, disciple et ami de Platon : « il faut que les enfants aient une occupation et on doit considérer comme bienvenue la crécelle d’Archytas que l’on donne aux petits enfants pour qu’en s’en servant ils ne brisent rien dans les affaires de la maison » (Aristote in Politiques). L’une d’entre nous évoque le bébé qui s’est emparé du paquet de pinces à linges comme jeu.
► Aujourd’hui nous considérons le jeu comme essentiel à la construction de l’enfant. C’est un point bien établi et démocratiquement diffusé dans toutes les classes sociales. Sa construction au plan de la perception du réel, au plan du symbolique et bien entendu de l’imaginaire avec distinction progressive des trois plans. De là toute une observation scientifique approfondie menée par les pédagogues et autres psy (voir le texte pistes) et mise en pratique aujourd’hui par les « professionnels de l’enfance » (ex : éducateurs et éducatrices de jeunes enfants, jadis nommés jardinières). A telle étape, tel type de jeu (assemblage, différenciation, classement, inclusion etc..). Et : tel type de comportement attendu au jeu par l’éducateur : relation du joueur à son activité (implication, concentration, patience…) et relation à l’autre joueur.
Les parents sont en première ligne…of course ! Leurs questions –voire leur angoisses- font « le beurre » des professionnels de la chose : est ce que la prédilection de mon enfant pour tel ou tel type de jeu (solitaire ou, au contraire, bagarreur) préfigure son tempérament à venir d’adulte ? Etc... Et, face aux adolescents, bien d’autres motifs d’inquiétude parentaux, par exemple sur l’excès de jeux vidéos : finira-t-il par confondre réel et virtuel ? N’est ce pas désocialisant ?
On a ainsi évoqués ceux qu’au Japon on appelle les hikikomori (les retirés) : des milliers de gens (surtout hommes, plutôt jeunes) mordus de mangas, dessins animés ou jeux en tous genres, reclus dans leur chambre où ils sont happés par leur écran, ayant renoncé à la société des hommes
Discussion sur le JOUET.
Devenu une affaire d’adultes dans la société contemporaine ! Affaire réglée par les adultes (puisque le jouet s’achète et devient un bien rentrant dans le patrimoine économique de la maisonnée) et parfois pour eux seuls (= répondre à leur fantasme ou rêve de jouet idéal). La marchandisation des jouets prédétermine le rapport au jouet et l’enfant y est plongé entièrement : désir, envie, demande, caprice, obsolescence rapide de l’objet, quel adulte ne connait tout ça sans arriver toujours à le comprendre ou le supporter ? On évoque aussi certains systèmes intéressants de circulation des jouets (bourses associatives aux jouets, ludothèques avec prêts de jouets et de jeux, second marché type Emmaüs).
Des motifs à se rassurer cependant :
- il suffit parfois à l’adulte de sortir l’enfant de son quotidien (occasion des vacances, balades, contacts avec la nature) pour redécouvrir intact son désir et co-construire avec lui des jeux bricolés (dans les bois, sur la plage …)
- l’appétence pour des jeux de construction (type lego ou jadis mécano) vient en son temps : à privilégier dans les achats !
- constatons que l’enfant reste très accroché, sinon «scotché », par les contes ou histoires dans lesquels le jeu/jouet n’est pas un produit manufacturé : Pinocchio, ce petit bout de bois à qui Gepetto donne vie…le mouton imaginé par le petit Prince…
Discussion sur les JEUX de HASARD
Le loto dans nos vies modernes. Parier, miser. Gagner, perdre, regagner ? (voir pistes). Notion clef : le risque. Plusieurs témoignages dans le groupe sur l’effroi glacial ressenti dans les salles de machine à sou des Casino (voir ci-dessous, les Pachinko au Japon). Déjà rencontrée comme symbole lors de notre séance sur « le destin », la roulette est ici très réelle, captant, sous l’apparence du seul appât du gain, beaucoup de choses plus complexes….
Y-a-t-il des joueurs de casino heureux ? Ou gais ? Manque de témoignages : nous sommes plutôt emportés par une représentation dominante, celle du joueur excessif. C’est à dire, selon l’association SOS Joueurs= personnes pour lesquels la pratique du jeu d’argent –courses, lots, casinos etc...-est devenu incontrôlable. Phénomène appréhendé jadis uniquement sous l’angle de la morale, aujourd’hui reconnu sous un angle pathologique (parmi les addictions) avec offres de soin et dispositif de santé publique. On n’a pas le temps de lire certaines pages du roman de Dostoïevski, Le Joueur (1865), très intéressant mais …pas vraiment rose ![2] Et encore, à cette époque, des limites concrètes s’imposent au joueur : le casino ferme à minuit…et il n’y a pas de distributeur de billets dans le hall d’accueil !! Le personnage du Joueur – au sens de joueur excessif- a été largement porté à l’écran (voir filmographie ci après)
Quant à Blaise Pascal, nous l’avons laissé en réserve dans un coin du Temps d’une Pause. Il a désormais l’éternité avec lui (1623/ 1662), on le ressortira plus tard. Deux de ses thèmes prévus pour ce soir ressortiront alors :
- son constat du besoin que les humains –rois comme roturiers- ont du « divertissement »…de quoi ?
- « il faut parier » sur l’existence de Dieu (en l’absence de preuves visibles) : sa démonstration est aussi celle de Pascal savant ; lequel non seulement contribue après Galilée et Torricelli à la théorie de l’existence du vide (il utilise le sommet du Puy de Dôme) mais est également un spécialiste du calcul de probabilités
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On ne l’a pas évoqué, aussi l’anagramme proposée dans le texte pistes pour mai reste à résoudre. La voici :
À un ami qui me demandait, « qu’as-tu fait le 25 avril au soir à Palavas ? » je répondis par SMS :
ÉCHAPPAIS FOULE
ÉLÉMENTS FILMOGRAPHIE
- 24 heures de la vie d'une femme, Laurent Bouhnik (2002), film, 92 min. [voir roman ci-dessous].
- Soupcons, Alfred Hitchcock (1941), Thriller, 100 min.
Film mettant en scène un couple un peu improbable, avec un homme dépensier et menteur (Johnnie) et une femme rangée et droite (Lina). L'homme est obligé de mentir à sa femme pour cacher ses dettes énormes et joue un double jeu inquiétant. Sa femme va alors imaginer le pire sur le passé de son mari - La baie des anges, 1963 Jacques Demy avec Jeanne Moreau
- Tricheurs, Barber Schroeder 1983 avec Bulle Ogier et Jacques Dutronc
- L’année dernière à Marienbad 1961 Alain Resnais (jeu de nim, dit parfois « jeu de marienbad » = jeu de stratégie)
- L’affaire Thomas crown (de Norman Jewinsonà avec Steeve Mac Queen (1968) : voir Fabienne !
- Mister Cash (Owning Mahowny), Richard Kwietniowski (2003), Drame, 104 min.
Histoire d'un jeune cadre dynamique prometteur derrière lequel se trouve un joueur compulsif. Il met en pratique ses talents de financier mais se fait rapidement repérer par la police. Ce film relate l'histoire de la plus importante fraude bancaire commise par un seul homme.
ROMANS CLASSIQUES
- Dostoievski. Feodor Mikhailovich Le Joueur (1866)
Ce roman met en scène les aventures d'Alexis Ivanovitch, joueur excessif ayant pour but de séduire la fille de son employeur. Ce pauvre percepteur doit devenir riche pour réaliser son projet ; au début, il joue uniquement pour gagner de l'argent, mais très vite il devient esclave du jeu. Ce récit ressemble à de nombreux égards à la vie de Dostoïevski, qui, durant 15 ans, fut lui aussi esclave du jeu - Zweig Stefan Le joueur d’échecs 1942
- Zweig Stefan Vingt quatre heures de le vie d’une femme 1929 Passion fulgurante d’une femme avec un joueur que l’on peut qualifier d’excessif au début du siècle
- Auster Paul La musique du hasard. , Ed. Actes Sud (1991)
L'héritier d'une grosse fortune décide de vendre ce qu'il possède et de sillonner l'Amérique. Durant son voyage, il rencontre un joueur de poker avec lequel il décide de jouer l'argent qui lui reste. - Guitry Sacha Mémoire d'un tricheur. , Presse de la cité (1991)
- Pouchkine Alexandre La dame de pique. , Gallimard (1974)
- Carrère Emmanuel Hors d’atteinte? (livre de poche 1989) Frédérique décide de "s’abandonner à la roulette" : elle joue, perd, rejoue, gagne… Les enjeux montent, elle coupe des ponts, elle s’enivre d’irrévocable. Elle se met sans relâche au pied du mur en espérant, après l’avoir sauté, être enfin délivrée, hors d’atteinte
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Témoignages, études, films et DVD à visé pédagogiques ou documentaires témoignages [par exemple : Piece of dream : Story of gambling Documentaire de 49 mn de Michelle Wong (Canada 2003) :l’auteure dévoile la dépendance au jeu de son frère qui a finit par se suicider. Ce film par moments insoutenable, montre de façon dépouillée, la descente aux enfers d’un joueur devenu violent] :
consultez le site web du centre de référence sur le jeu Excessif : http://www.crje.fr/presentation.html
[1] Ce jeu avec les mains est immatériel. Mais on garde aussi des « jeux de famille » dans les tiroirs des maisons, ce sont des patrimoines destinés à être ressortis au fil des générations…et combien sont ceux qui, n’ayant plus le jeu en question, sont tentés de le racheter en le trouvant tel quel lors d’une brocante ?
[2] Envoi possible par courriel d’extraits choisis sur demande à merle.pierre@orange.fr. Ironiquement, Dostoïevski a choisi de situer son action dans une ville allemande qu’il nome Roulettenbourg.